Per conoscere la Nouvelle Théologie III





LA NOUVELLE THÉOLOGIE OU VA-T-ELLE ?

Appendice de l’ouvrage la Synthèse Thomiste
Du P. Garrigou-Lagrange, O.P.

Dans un livre récent du P. Henri Bouillard, Conversion et grâce chez saint Thomas d’Aquin, 1944, p. 219, on lit : « Quand l’esprit évolue, une vérité immuable ne se maintient que grâce à une évolution simultanée et corrélative de toutes les notions, main­tenant entre elles un même rapport. Une théologie qui ne serait pas actuelle serait une théologie fausse[1] ».
Or dans les pages précédentes et les suivantes on montre que la théologie de saint Thomas en plusieurs parties importantes n’est plus actuelle. Par exemple saint Thomas a conçu la grâce sanctifiante comme une forme (principe radical d’opérations surnatu­relles qui ont pour principe prochain les vertus infuses et les sept dons) : « Les notions utilisées par saint Thomas sont simplement des notions aristotéliciennes appliquées à la théologie » (Ibid., p. 213 sq.).
Que s’en suit-il ? « En renonçant à la Physique aristotélicienne, la pensée moderne a abandonné les notions, les schèmes, les oppositions dialectiques qui n’avaient de sens qu’en fonction d’elle » (p. 224. Elle a donc abandonné la notion de forme.
Comment le lecteur évitera-t-il de conclure : la théologie de saint Thomas n’étant plus actuelle, est une théologie fausse.

Mais alors comment les Papes nous ont-ils si souvent recommandé de suivre la doctrine de saint Thomas ? Comment l’Église dit-elle dans son Code de droit canonique, can. 1366, n. 2 : « Philosophiaerationalis ac theologiae studia et alumnorum in his disciplinis institutionem professores omnino per­tractent ad Angelici Doctoris rationemdoctrinam, et principiaeaque sancte teneant ».
De plus comment « une vérité immuable » peut-elle se maintenir, si les deux notions qu’elle réunit par le verbe être, sont essentiellement changeantes ?
Un rapport immuable ne se conçoit que s’il y a quelque chose d’immuable dans les deux termes qu’il unit. Autrement, autant dire qu’un crampon de fer peut immobiliser les flots de la mer.
Sans doute les deux notions qui sont unies dans une affirmation immuable sont d’abord confuses puis distinctes, telles les notions de nature, de per­sonne, de substance, d’accident, de transsubstan­tiation, de présence réelle, de péché, de péché originel, de grâce, etc. Mais si dans ce qu’elles ont de fondamental ces notions ne sont pas immuables, comment l’affirmation qui les unit par le verbe être serait-elle immuable ? Comment maintenir que la présence réelle de la substance du Corps du Christ dans l’Eucharistie requiert la transsubstantiation, si ces notions sont essentiellement changeantes ? Comment maintenir que le péché originel en nous dépend d’une faute volontaire du premier homme, si la notion de péché originel est essentiellement instable ? Comment maintenir que le jugement parti­culier après la mort est irrévocable pour l’éternité, si ces notions sont appelées à changer ? Et comment enfin maintenir que toutes ces propositions sont immuablement vraies, si la notion même de vérité doit changer, et s’il faut substituer à la définition traditionnelle de la vérité (la conformité du juge­ment au réel extramental et à ses lois immuables) celle proposée ces dernières années par la philosophie de l’action : la conformité du jugement avec les exigences de l’action ou de la vie humaine qui évolue toujours ?

1° Les formules dogmatiques elles-mêmes gardent-­elles leur immutabilité ?

Le P. H. Bouillard, op. cit., p. 221, répond : l’affirmation qui s’exprime en elles demeure. Mais il ajoute, ibid. : « On se demandera peut-être s’il est encore possible de considérer comme contin­gentes lesnotions impliquées dans les définitions conciliaires ? Ne serait-ce pas compromettre le carac­tère irréformable de ces définitions ? Le Concile de Trente, sess. 6, cap. 7, can. 10, par exemple, a employé, dans son enseignement sur la justification la notion de cause formelle. N’a-t-il pas, par le fait même consacré cet emploi et conféré à la notion de grâce-forme un caractère définitif ? Nullement. Il n’était certainement pas dans l’intention du Concile de canoniser une notion aristotélicienne, ni même une notion théologique conçue sous l’influence d’Aristote. Il voulait simplement affirmer, contre les protestants, que la justification est une réno­vation intérieure... Il a utilisé à cette fin des notions communes dans la théologie du temps. Mais on peut leur en substituer d’autres, sans modifier le sens de son enseignement ». (C’est nous qui soulignons.)
Sans doute le Concile n’a pas canonisé la notion aristotélicienne de forme avec toutes ses relations aux autres notions du système aristotélicien. Mais il l’a approuvée comme une notion humaine stable, au sens où nous parlons tous de ce qui constitue formellement une chose (ici la justification)[2]. En ce sens il parle de la grâce sanctifiante distincte de la grâce actuelle, en disant qu’elle est un don sur­naturel, infus, qui inhère dans l’âme et par lequel l’homme est formellement justifié (cf. Denzinger, 799, 821). Si les Conciles définissent la foi, l’espérance, la charité comme des vertus infuses perma­nentes, leur principe radical (la grâce habituelle ou sanctifiante) doit être aussi un don infus permanent, et par suite distincte de la grâce actuelle ou d’une motion divine transitoire.
Mais comment peut-on maintenir le sens de cet enseignement du Concile de Trente « la grâce sancti­fiante est la cause formelle de la justification », si « l’on substitue une autre notion à celle de cause formelle » ? Je ne dis pas « si l’on substitue un équivalent verbal », je dis avec le P. H. Bouillard « si l’on substitue une autre notion ».
Si elle est autre, ce n’est plus celle de cause for­melle : Alors il n’est plus vrai de dire avec le Concile : « la grâce sanctifiante est la cause formelle de la justification ». Il faut se contenter de dire : la grâce a été conçue à l’époque du Concile de Trente comme la cause formelle de la justification, mais aujourd’hui il faut la concevoir autrement, cette conception passée n’est plus actuelle et donc elle n’est plus vraie, car une doctrine qui n’est plus actuelle, a-t-il été dit, est une doctrine fausse[3].
On répondra : on peut substituer à la notion de cause formelle, une autre notion équivalente. Ici on se paie de mots (en insistant d’abord sur une autre et ensuite sur équivalente), d’autant qu’il ne s’agit pas seulement d’équivalence verbale, puisque c’est une autre notion. Que devient la notion même de vérité ?[4]
Alors la question très grave revient toujours : la proposition conciliaire est-elle maintenue comme vraie per conformitatem cum ente extramentali et legibus ejus immutabilibus, an per conformitatem cumexigentiis vitae humanae quae semper evolvitur ?
On voit le danger de la nouvelle définition de la vérité, non plus adaequatio rei et intellectus, mais conformitas mentis et vitae. Lorsque M. Blondel en 1906 proposait cette substitution, il n’en avait pas prévu toutes les conséquences dans le domaine de la foi. Lui-même en sera peut-être effrayé, ou du moins très inquiet[5]. De quelle vie s’agit-il en cette définition : « conformitas mentis et vitae » ? Il s’agit de la vie humaine. Et alors comment éviter la proposition moderniste : « Veritas non est immuta­bilis plusquam ipse homo, quippe quae cum ipso, in ipso et per ipsum evolvitur » (Denz. 2058). On com­prend que Pie X ait dit des modernistes : « aeternam veritatis notionem pervertunt » (Denz. 2080).
Il est très dangereux de dire : les notions chan­gent, les affirmations restent ». Si la notion même de vérité vient à changer, les affirmations ne restent plus vraies de la même manière, ni selon le même sens. Alors le sens des Conciles n’est plus maintenu, comme on l’aurait voulu.
Malheureusement la nouvelle définition de la vérité se répand chez ceux qui oublient ce qu’avait dit Pie X : « Magistros autem monemus, ut rite hoc teneant Aquinatem vel parure desererepraesertim in remetaphysica, non sine magno detrimento esse. Parvus error in principio, sic verbis ipsius Aquinatis licet utiest magnus in fine ». (EncPascendi).
A plus forte raison si l’on fait fi de toute méta­physique, de toute ontologie, et si l’on tend à sub­stituer à la philosophie de l’être, celle du phénomène ou celle du devenir, ou celle de l’action.
N’est-ce pas la nouvelle définition de la vérité qui se trouve sous la nouvelle définition de la théologie : « La théologie n’est autre qu’une spiritualité ou expérience religieuse qui a trouvé son expression intellectuelle ». Et alors que penser d’assertions comme celle-ci : « Si la théologie nous peut aider à com­prendre la spiritualité, la spiritualité à son tour fera, dans bien des cas, éclater nos cadres théologiques, et nous obligera à concevoir divers types de théologie... A chaque grande spiritualité a correspondu une grande théologie ». Cela veut-il dire que deux théologies peuvent être vraies, même si elles s’opposent contradictoirement sur leurs thèses capi­tales ? On répondra non si l’on maintient la définition traditionnelle de la vérité. On dira oui, si l’on adopte la nouvelle définition du vrai conçu non pas par rapport à l’être et à ses lois immuables, mais par rapport à différentes expériences religieuses. Cela nous rapproche singulièrement du modernisme.
On se rappelle que le Saint-Office condamna le 1er décembre 1924, douze propositions extraites de la philosophie de l’action, parmi elles il y avait, n. 5, la nouvelle définition de la vérité : « Veritas noninvenitur in ullo actu particulari intellectus in quo haberetur conformitas cum objecto, ut aiunt scholasticised veritas est semper in fiericonsistitque in adaequatione progressiva intellectus et vitaescil.in motu quodam perpetuo, quo intellectus evolvere et explicare nititur id quod parit experientia vel exigit actio : ea tamen lege ut in toto progressu nihil unquam ratum fixumque habeatur ». La dernière de ces propositions condamnées est celle-ci : « Etiam post fidem conceptamhomo non debet quiescere in dogmatibus religioniseisque fixe et immobiliter ad­haereresed semper anxius manere progrediendiad ulteriorem veritatemnempe evolvendo in novos sensusimmo et corrigendo id quod credit ».[6]
Plusieurs, sans y prendre garde, reviennent aujourd’hui à ces erreurs.
Mais alors comment maintenir que la grâce sancti­fiante est essentiellement surnaturellegratuite, nul­lement due à la nature humaine, ni à la nature angélique ?
Cela est clair pour saint Thomas, qui sous la lumière de la Révélation admet ce principe : les facultés, les « habitus » et leurs actes sont spécifiés par leur objet formel ; or l’objet formel de l’intel­ligence humaine et celui même de l’intelligence angélique, sont immensément inférieurs à l’objet propre de l’intelligence divine : la Déité ou la vie intime de Dieu (cf. Ia, q. XII, a. 4). Mais si l’on néglige toute métaphysique, pour se contenter d’éru­dition historique et d’introspection psychologique, le texte de saint Thomas devient inintelligible[7]. De ce point de vue qu’est-ce qu’on maintiendra de la doctrine traditionnelle sur la distinction non pas contingente, mais nécessaire de l’ordre de la grâce et de celui de la nature ?
A ce sujet dans le livre récent du P. H. de Lubac, Surnaturel (Études historiques), 1946, p. 264 : à pro­pos de l’impeccabilité probable des anges dans l’ordre naturel, on lit : « Rien n’annonce chez saint Thomas la distinction que forgeront plus tard un certain nombre de théologiens thomistes, entre « Dieu auteur de l’ordre naturel », et « Dieu auteur de l’ordre surnaturel »... comme si la béatitude naturelle... dans le cas de l’ange aurait dû résulter d’une activité infaillible, impeccable ». Item, p. 275.
Saint Thomas distingue au contraire souvent la fin ultime surnaturelle de la fin ultime naturelle[8], et pour ce qui est du démon il dit, De malo, q. XVI, a. 3 : « Peccatum diaboli non fuit in aliquo quod pertinetad ordinem naturalemsed secundum aliquid supernaturale ». ItemIa, q. LXIII, a. 1, ad 3um.
On en arrive ainsi à se désintéresser complètement des pronuntiata majora de la doctrine philosophique de saint Thomas, c’est-à-dire des vingt-quatre thèses thomistes approuvées en 1916 par la Sacrée Congrégation des Études.
Bien plus, le P. Gaston Fessard S. J. dans Les Études de novembre 1945, p. 269-270, parle du « bienheureux assoupissement que protège le tho­misme canonisé, mais aussi, comme disait Péguy, « enterré », tandis que vivent les pensées vouées, en son nom, à la contradiction ».
Dans la même revue en avril 1946, il est dit que le néo-thomisme et les décisions de la Commission biblique sont « un garde-fou, mais non pas une réponse ». Et que propose-t-on à la place du tho­misme, comme si Léon XIII dans l’encyclique Aeterni Patris s’était trompé, comme si Pie X dans l’ency­clique Pascendi, en renouvelant cette même recom­mandation, avait fait fausse route ? Et où va-t-elle aller cette théologie nouvelle avec les maitres nouveaux dont elle s’inspire ? Où va-t-elle si non dans la voie du scepticisme, de la fantaisie et de l’hérésie ? Sa Sainteté Pie XII disait récemment dans un discours publié par l’Osservatore romano du 19 septembre 1946 : « Plura dicta suntat non satis explorata ratione, « de nova theologia » quae cum universis semper volventibus rebus, una vol­semper ituranumquamperventura. Si talis opinio amplectenda esse videaturquid fiet de num­quam immutandis catholicis dogmatibus, quid de fidei ,unitate et stabilitate ? »

2° Application des principes nouveaux aux doctrines du péché originel et de l’Eucharistie.

On dira certainement que nous exagérons, mais une erreur même légère sur les notions premières et les premiers principes a des conséquences incal­culables que neé prévoyaient pas ceux qui se sont ainsi trompés. Les conséquences des vues nouvelles, dont nous venons de parler doivent donc aller bien au-delà des prévisions des auteurs que nous avons cités. Ces conséquences, il est difficile de ne pas les voir en certaines feuilles dactylographiées qui sont communiquées, (certaines depuis 1934) au clergé, aux séminaristes, aux intellectuels catholiques ; on y trouve les plus singulières assertions et négations sur le péché originel et la présence réelle.
Quelquefois avant de proposer ces nouveautés on prévient le lecteur en lui disant : cela paraît fou au premier abord, mais cependant, si l’on y regarde de près, ce n’est pas sans vraisemblance et c’est admis par plusieurs. Les intelligences superficielles s’y laissent prendre, et la formule : « une doctrine qui n’est plus actuelle, n’est plus vraie » fait son chemin. Quelques-uns sont tentés de conclure : « la doctrine de l’éternité des peines de l’enfer n’est plus actuelle, semble-t-il, et par là même elle n’est plus vraie ». Il est dit dans l’Évangile qu’un jour la charité de beaucoup se refroidira et qu’ils seront séduits par l’erreur.
C’est une stricte obligation de conscience pour les théologiens traditionnels de répondre. Autrement ils manquent gravement à leur devoir, et ils devront en rendre compte devant Dieu.

Dans les feuilles polycopiées distribuées en France ces dernières années (au moins depuis 1934, d’après celles que nous avons en mains) les doctrines les plus fantaisistes et les plus fausses sont enseignées sur le péché originel.
Dans ces feuilles, l’acte de foi chrétienne n’est pas conçu comme une adhésion surnaturelle et infaillible aux vérités révélées propter auctoritatem Dei revelantis, mais comme une adhésion de l’esprit à une perspective générale de l’univers. C’est la perception de ce qui est possible et plus probable mais non démontrable. La foi devient un ensemble d’opinions probables. De ce point de vue, Adam paraît être non pas un homme individuel d’où descend le genre humain, mais c’est plutôt une col­lectivité.
On ne voit plus dès lors comment maintenir la doctrine révélée du péché originel telle qu’elle est expliquée par saint Paul, RomV, 18 : « Sicut per unius delictum in omnes homines in condemnatio­nem, sicet per unius justitiam in omnes homines in justificationem vitae. Sicut enim per inoboedientiam unius peccatores constituti sunt multi, ita per unius oboeditionem justi constituentur multi ». Tous les Pères et l’Église, interprète autorisée de l’Écri­ture, dans son magistère soit ordinaire, soit solennel ont toujours entendu que Adam a été un homme individuel comme ensuite le Christ et non pas une collectivité[9]. On nous propose maintenant une pro­babilité en sens contraire de l’enseignement des Conciles d’Orange et de Trente (Denz. 175, 789, 791, 793)[10].
De plus l’incarnation du Verbe, de ce nouveau point de vue, serait un moment de l’évolution uni­verselle.
L’hypothèse dé l’évolution matérielle du monde est étendue à l’ordre spirituel. Le monde surnaturel est en évolution vers l’avènement plénier du Christ.
Le péché en tant qu’il affecte l’âme est quelque chose de spirituel et donc d’intemporel. Par suite peu importe pour Dieu qu’il ait eu lieu au début de l’histoire de l’humanité ou au cours des âges.
Le péché originel n’est donc plus en nous un péché qui dépend d’une faute volontaire du premier homme, mais il provient des fautes des hommes qui ont influé sur l’humanité.
On en vient ainsi à vouloir changer non seulement le mode d’exposition de la théologie, mais la nature même de la théologie, bien plus celle du dogme. Celui-ci n’est plus considéré du point de vue de la foi infuse à la Révélation divine, interprétée par l’Église dans ses Conciles. Il n’est plus question des Conciles, mais on se place ici au point de vue de la biologie complétée par des élucubrations des plus fantaisistes qui rappellent celles de l’évolu­tionisme hégélien, lequel ne conservait plus des dogmes chrétiens que le nom.
En cela on suit les rationalistes, et l’on fait ce que les ennemis de la foi désirent, on là réduit à des opinions toujours changeantes qui n’ont plus aucune valeur. Que reste-t-il de la parole de Dieu donnée au monde pour le salut des âmes ?
Dans ces feuilles intitulées Comment je crois, on lit, p. 15 : « Si nous voulons, nous autres chrétiens, conserver au Christ les qualités qui fondent son puvoir et notre adoration, nous n’avons rien de meilleur ou mêmhe rien d’autre à faire que d’accepter jusqu’au bout les conceptions les plus modernes de l’Évolution. Sous la pression combinée de la Science et de la Philosophie, le Monde s’impose de plus en plus à notre expérience et à notre pensée comme un système lié d’activités s’élevant graduellement vers la liberté et la conscience. La seule interpré­tation satisfaisante de ce processus est de le regarder comme irréversible et convergent. Ainsi se définit en avant de nous un Centre cosmique Universel où tout aboutit, où tout se sent, où tout se commande. Eh bien, c’est en ce pôle physique de l’universelle Évolution qu’il est nécessaire, à mon avis, de placer et de reconnaître la Plénitude du Christ... L’Évolu­tion en découvrant un sommet au monde, rend le Christ possible, tout comme le Christ en donnant un sens au Monde, rend possible l’Évolution.
J’ai parfaitement conscience de ce qu’il y a de vertigineux dans cette idée... mais, en imaginant une pareille merveille, je ne fais rien d’autre chose ,que de transcrire en termes de réalité physique les expressions juridiques où l’Église a déposé sa foi... je me suis engagé pour mon compte, sans hésiter, dans la seule direction où il me semble possible de faire progresser et par conséquent de sauver ma foi.
Le catholicisme m’avait déçu, en première appa­rence, par ses représentations étroites du Monde, et par son incompréhension du rôle de la Matière. Maintenant je reconnais qu’à la suite du Dieu incarné qu’il me révèle je ne puis être sauvé qu’en faisant corps avec l’univers. Et ce sont du même coup mes aspirations « panthéistes » les plus profondes qui se trouvent satisfaites, rassurées, guidées. Le Mondeautour de moi, devient divin...
Une convergence générale des religions vers un Christ-universel, qui, au fond, les satisfait toutes : telle me paraît être la seule conversion possible au Monde et la seule forme imaginable pour une Religion de l’avenir[11] ».
Ainsi le monde matériel aurait évolué vers l’esprit, et le monde de l’esprit évoluerait naturellement pour ainsi dire vers l’ordre surnaturel et vers la plénitude du Christ. Ainsi l’Incarnation du Verbe, le corps mystique, le Christ universel seraient des moments de l’Évolution, et de ce point de vue d’un progrès constant dès l’origine, il ne semble pas qu’il y ait eu une chute au début de l’histoire de l’huma­nité, mais un progrès constant du bien qui triomphe du mal selon les lois mêmes de l’évolution. Le péché originel serait en nous la suite des fautes des hommes qui ont exercé une influence funeste sur l’humanité.
Voilà ce qui reste des dogmes chrétiens dans cette théorie qui s’éloigne de notre Credo dans la mesure où elle se rapproche de l’évolutionisme hégélien.
Dans cet exposé il est dit : « Je me suis engagé dans la seule direction où il me semble possible de faire progresser et par conséquent de sauver ma foi ». C’est donc que la foi elle-même n’est sauve que si elle progresse, et elle change tellement qu’on ne reconnaît plus la foi des Apôtres, celle des Pères et des Conciles. C’est une manière d’appliquer le principe de la théologie nouvelle : « une doctrine qui n’est plus actuelle n’est plus vraie » et pour certains il suffit qu’elle ne soit plus actuelle en certains milieux. Dès lors la vérité est toujours in fieri, jamais immuable. Elle est la conformité du jugement, non pas avec l’être et ses lois nécessaires, mais avec la vie qui évolue toujours. On voit jusqu’où con­duisent les propositions condamnées par le Saint-­Office 1er décembre 1924, et que nous avons citées plus haut : « Nullapropositio abstracta potest haberi ut immutabiliter vera ». « Etiam post fidem conceptam, homo non debet quiescere in dogma­tibus religioniseisque fixe et immobiliter adhaereresed semper anxius manereprogrediendi ad ulteriorem veritatemnempe evolvendo in novos sensusimmo et corrigendo id quod credit ». Cf. Monitore ecclesia­stico, 925, p. 194.

Nous trouvons un autre exemple de semblable déviation en des feuilles dactylographiées sur la Présence réelle, qui circulent depuis quelques mois dans le clergé. Il y est dit que le vrai problème de la présence réelle n’a pas été jusqu’ici bien posé : « On a dit pour répondre à toutes les difficultés qu’on s’est forgées : le Christ est présent à la manière d’une substance... Cette explication passe à côté du vrai problème. Ajoutons que dans sa clarté trom­peuse elle supprime le mystère religieux. A vrai dire, il n’y a plus là un mystère, il n’y a plus là qu’un prodige ».
C’est donc saint Thomas qui n’a pas su poser le problème de la Présence réelle, et sa solution : praesentia corporis Christi per modum substantiae serait illusoire ; sa clarté est une clarté trompeuse.
On nous avertit que l’explication nouvelle qu’on propose « implique évidemment qu’on substitue comme méthode de réflexion la méthode cartésienne et spinosiste à la méthode scolastique ».
Un peu plus loin on lit : au sujet de la trans­substantiation « ce mot n’est pas sans inconvénient, pas plus que celui de péché originel. Il répond à la manière dont les scolastiques conçoivent cette trans­foimation et leur conception est inadmissible ».
Ici on ne s’éloigne plus seulement de saint Thomas, mais du Concile de Trente, sess. XIII, cap. 4, et can. 2 (Denz. 877 ; 884), car il a défini la trans­substantiation comme vérité de foi, et il a même dit : « quam quidem conversionem catholica Ecclesia aptissime transsubstantiationem appellat ». Aujour­d’hui ces nouveaux théologiens disent : « ce mot n’est pas sans inconvénient,... il répond à une con­ception inadmissible ».
« Dans les perspectives scolastiques où la réalité de la chose est « la substance », la chose ne pourra changer réellement que si la substance change... par la transsubstantiation. Dans nos perspectives actuelles... lorsqu’en vertu de l’offrande qui en a été faite selon un rite déterminé par le Christ le pain et le vin sont devenus le symbole efficace du sacrifice du Christ, et par conséquent de sa présence spiri­tuelle, leur être religieux a changé », non pas leur substance[12]. Et l’on ajoute : « C’est là ce que nous pouvons désigner par la transsubstantiation ».
Mais il est clair que ce n’est plus la transsubstan­tiation définie par le Concile de Trente, « conversio totius substantiae panis in Corpus et totius substan­tiae vini in Sanguinemmanentibus duntaxat specie­buspanis et vini » (Denz. 884). Il est évident que le sens du Concile n’est pas maintenu par l’intro­duction de ces notions nouvelles. Le pain et le vin sont devenus seulement « le symbole efficace de la présence spirituelle du Christ ».
Cela nous rapproche singulièrement de la position moderniste qui n’affirme pas la présence réelle du Corps du Christ dans l’Eucharistie, mais qui dit seulement au point de vue pratique et religieux : comporte toi à l’égard de l’Eucharistie comme à l’égard de l’humanité du Christ.
Dans les mêmes feuilles on entend de façon semblable le mystère de l’Incarnation « Bien que le Christ soit vraiment Dieu, on ne peut pas dire que par lui il y avait une présence de Dieu sur la ­terre de Judée... Dieu n’était pas plus présent en Palestine qu’ailleurs. Le signe efficace de cette pré­sence divine s’est manifesté en Palestine au premier siècle de notre ère, c’est tout ce que l’on peut dire »[13].
On ajoute enfin : « le problème de la causalité des sacrements est un faux problème, né d’une fausse manière de poser la question ».

Nous ne pensons pas que les écrivains dont nous venons de parler abandonnent la doctrine de saint Thomas ; ils n’y ont jamais adhéré ne l’ayant jamais bien comprise. C’est douloureux et inquiétant.
Avec cette manière d’enseigner comment ne pas former des sceptiques ? Car on ne propose rien de ferme pour remplacer la doctrine de saint Thomas. De plus on prétend être soumis aux directions de l’Église, mais en quoi consiste cette soumission ?
Un professeur de théologie nous éerit : « C’est en effet sur la notion même de vérité que porte le débat, et, sans bien s’en rendre compte, on revient vers le modernisme dans la pensée comme dans l’action. Les écrits dont vous me parlez sont très lus en France. Ils exercent une grosse influence, sur les esprits moyens il est vrai : les gens sérieux n’accrochent pas. Il faut écrire pour ceux qui ont le sincère désir d’être éclairés ».
Au dire de certains, l’Église n’aurait reconnu l’autorité de saint Thomas que dans le domaine de la théologie, non pas directement dans celui de la philosophie. Au contraire l’encyclique Aeterni patris de Léon XIII parle surtout de la philosophie de saint Thomas. De même les vingt-quatre thèses tho­mistes proposées en 1916 par la Sainte Congrégation des Études sont d’ordre philosophique et si cespronunciata majora de saint Thomas n’ont pas de certitude, que peut valoir sa théologie qui constam­ment y a recours ? Enfin, nous l’avons déjà rappelé, Pie X a écrit : « Magistros autera monemus, ut rite hoc teneant Aquinatem vel parum deserere prae­sertim in re metaphysica non sine magno detrimento esse. Parvus error in principio magnus est in fine ».
D’où viennent ces tendances ? Un bon juge m’écrit : « On recueille les fruits de la fréquentation sans pré­cautions des cours universitaires. On veut fréquenter les maîtres de la pensée moderne pour les convertir et l’on se laisse convertir par eux. On accepte peu à peu leurs idées, leurs méthodes, leur dédain de la scolastique, leur historicisme, leur idéalisme et toutes leurs erreurs. Si cette fréquentation est utile pour des esprits déjà formés, elle est sûrement périlleuse pour les autres ».

Conclusion


Où va la nouvelle théologie ? Elle revient au modernisme. Parce qu’elle a accepté la proposition qui lui était faite : celle de substituer à la défini­tion traditionnelle de la vérité: adaequatio rei et intellectus, comme si elle était chimérique, la définition subjective : adaequatio realis mentis et vitae. Ceci est dit plus explicitement dans la proposition déjà citée, extraite de la philosophie de l’action, et condamnée par le Saint-Office le 1er décembre 1924 : « Veritas non invenitur in ullo actu particulari intellectus in quo haberetur conformitas cum objecto ut aiunt scho­lasticised veritas est semper in fiericonsistitque inadaequatione progressiva intellectus et vitaescilin motu quodam perpetuo, quo intellectus evolvere et explicare nititur id quod parit experientia vel exigit actio : ea tamen lege ut in toto progressu nihilunquam ratum fixumque habeatur » (Monitore eccle­siastico, 1925, t. I, p. 194).
La vérité n’est plus la conformité du jugement avec le réel extramental et ses lois immuables, mais la conformité du jugement avec les exigences de l’action et de la vie humaine qui évolue toujours. A la philosophie de l’être ou ontologie se substitue la philosophie de l’action qui définit la vérité en fonction non plus de l’être mais de l’action.
On revient ainsi à la position moderniste : « Veritas non est immutabilis plus quam ipse homo, quippe quae cum ipso, in ipso et per ipsum evolvitur » (Denz., 2058). Aussi Pie X disait-il des modernistes « aeternam veritatis notionem pervertunt » (Denz., 2080).
C’est ce qu’avait prévu notre maître le Père M. B. Schwalm dans ses articles de la Revue thomiste, 1896, p. 36 ss., 413 ; 1897, p. 62, 239, 627 ; 1898, p. 578, sur la philosophie de l’action, le dogmatisme moral du P. Laberthonnière, sur la Crise de l’apologétique contemporaine, les illusions de l’idéalisme et leurs dangers pour la foi.
Mais plusieurs ont pensé que le Père Schwalm avait exagéré, ils ont peu à peu donné droit de cité à la nouvelle définition de la vérité, et ils ont plus ou moins cessé de défendre la définition tradition­nelle du vrai : la conformité du jugement avec l’être extramental et ses lois immuables de non contra­diction, de causalité, etc. Pour eux, le vrai n’est plus ce qui est, mais ce qui devient et change tou­jours.
Or cesser de défendre la définition traditionnelle de la vérité, laisser dire qu’elle est chimérique, qu’il faut lui en substituer une autre vitaliste et évolu­tioniste, cela conduit au relativisme complet, et c’est une très grave erreur.
De plus, et l’on n’y réfléchit pas, cela conduit à dire ce que les ennemis de l’Église veulent nous entendre dire. Quand on lit leurs ouvrages récents, on voit qu’ils en éprouvent un vrai contentement, et qu’ils proposent eux-mêmes des interprétations de nos dogmes, où il est question du péché originel, du mal cosmique, de l’incarnation, de la rédemption, de l’eucharistie, de la réintégration universelle finale, duChrist cosmique, de la convergence de toutes les religions vers un centre cosmique universel[14].
On comprend dès lors que le Saint Père dans le discours récent rapporté par l’Osservatore romano du 19 septembre 1946, ait dit en parlant de la « théologie nouvelle » : « Si talis opinioamplectenda essevideaturquid fiet de numquam immutandis catholicis dogmatibus, quid de fidei unitate et stabili­tate ? »
Par ailleurs, comme la Providence ne permet le mal que pour un bien supérieur et comme on voit chez beaucoup une excellente réaction contre les erreurs que nous venons de souligner, on peut espérer que ces déviations seront l’occasion d’un vrai renouveau doctrinal, par une étude approfondie des œuvres de saint Thomas, dont la valeur apparaît de plus en plus, lorsqu’on la compare au désarroi intellectuel d’aujourd’hui[15].



[1] C’est nous qui soulignons.
[2] Nous avons expliqué cela plus longuement dans le Sens commun, la philosophie de l’être et les formules dogmatiques, 4e éd. 1936, p. 362 ss.
[3] Du reste il est défini que les vertus infuses (surtout les vertus théologales), qui dérivent de la grâce habituelle, sont des qualités, principes permanents d’opérations surnaturelles et méritoires ; il faut donc que la grâce habituelle ou sanctifiante (par laquelle nous sommes en état de grâce), dont ces vertus procèdent comme de leur racine, soit elle-même une qualité infuse permanente et non pas une motion comme la grâce actuelle. Or c’est bien avant saint Thomas qu’on a conçu la foi, l’espé­rance et la charité comme des vertus infuses. Quoi de plus clair ? Pourquoi perdre son temps sous prétexte de faire avancer les questions, à mettre en doute les vérités les plus certaines et fondamentales ? C’est un indice du désarroi intellectuel de notre temps.
[4] M. MAURICE BLONDEL, nous l’avons vu, écrivait dans les Annales de Philosophie chrétienne, 15 juin 1906, p. 235 : « A l’ab­straite et chimérique adaequatio rei et intellectus se substitue la recherche méthodique de ce droit, l’adaequatio realis mentis et vitae ». Ce n’est pas sans une grande responsabilité qu’on appelle chimérique la définition traditionnelle de la vérité admise depuis des siècles dans l’Église, et qu’on parle de lui en substituer une autre, dans tous les domaines, y compris celui de la foi théologale.
Est-ce que les derniers ouvrages de M. Blondel corrigent cette déviation ? Nous avons vu qu’on ne peut l’affirmer. Il dit encore l’Être et les êtres, 1935, p. 415 : « Aucune évidence intellectuelle même celle des principes absolus de soi et possédant une nécessaire valeur ontologique, ne s’impose à nous avec une certitude sponta­nément et infailliblement contraignante ». Pour admettre la valeur ontologique de ces principes, il faut une option libre. Avant cette option leur valeur ontologique n’est donc que probable. Mais il faut les admettre selon des exigences de l’action secundum conformitatem mentis et vitae. Il ne peut en être autrement si l’on substitue à la philosophie de l’être ou ontologie, la philosophie de l’action. Alors la vérité est définie en fonction non plus de l’être, mais de l’action. Tout est changé. Une erreur sur la notion première de vérité entraîne une erreur sur tout le reste. Voir aussi dans La Penséede M. Blondel (1934), t. I, p. 39, 130-136, 347, 355 ; t. II, p. 65 ssop, 96-196.
[5] Un autre théologien, que nous citerons plus loin, nous invite à dire qu’à l’époque du Concile de Trente on concevait la transsubstantiation comme le changement, la conversion de la substance du pain en celle du Corps du Christ, mais qu’aujourd’hui il convient de concevoir la transsubstantiation, sans ce changement de substance, mais en concevant que la substance du pain, qui reste, devient le signe-efficace du Corps du Christ. Et l’on prétend encore conserver le sens du Concile !
[6] Ces propositions condamnées se trouvent dans le Monitore ecclesiastico, 1925, p. 194 ; dans la Documentation catholique, 1925, p. 771 ss. et dans les Praelectiones Theologicae naturalis du P. Descops, 1932, t. I, p. 150, t. II, p. 287 ss.
[7] Le P. H. BOUILLARD, op. cit., p. 169 ss, arrivé au cœur de son sujet dit par exemple que saint Thomas Ia IIae, q. CXIII, a. 8,ad 1um à propos de la disposition immédiate à la justification, « ne fait plus appel à la causalité réciproque » comme dans ses ouvrages précédents. Il est clair au contraire pour tout thomiste que c’est d’elle que parle saint Thomas et c’est ce qui éclaire toute la question. Du reste, et c’est élémentaire, la causalité réciproque se vérifie toujoursquand les quatre causes interviennent, c’est-à-dire en tofft devenir. Ici il est dit : « Ex parte Dei justificantisordine naturae prior est gratiae infusio quam culpae remissio. Sed si sumantur ea quae sunt ex parte hominis justificati priusest liberatio a culpa quant consecutio gratiae justificantis ». Tout étudiant en théologie, qui a entendu expliquer le traité de la grâce de saint Thomas article par article, considère que c’est là une vérité qu’il n’est pas permis d’ignorer.
[8] Cf. Ia, q. XXIII, a. 1 : « Finis ad quem res creatae ordinantur a Deo est duplexUnus, qui excedit proportionem naturae creatae et facultatem, et hic finis est vita aeternaquae in divina visione consistit : quae est supra naturamcujuslibet creaturae, ut supra habitum est Ia, q. XII, a. 4. Alius autem finis est naturae creatae proportionatus, quem scilres creata potest attingere sec. virtutem suae naturae ». Item Ia IIae, q. LXII, a. 1 : « Est autem duplex hominisbeatitudosive felicitas, ut supra dictum est, q. III, a. 2 ad 4um ; q. V, a. 5. Una quidem proportionata humanae naturae, ad quam scilhomo pervenire potest per principia suae naturaeAlia autem est beatitudo naturam hominis excedens.
Item De veritate, q. XIV, a. 2 : « Est autem duplex hominis bonum ultimum. Quorum unum est proportionatum naturae... haec est felicitas de qua philosophi locuti sunt... Aliud est bonum naturae humanae proportionem excedens ». Si l’on n’admet plus la distinction classique entre l’ordre de la nature et celui de la grâce, on dira que la grâce est l’achèvement normal et obligé de la nature, et l’octroi d’une telle faveur n’en demeure pas moins, dit-on, gratuit, comme la création et tout ce qui la suit, car la création n’était nullement nécessaire. A quoi le Père Descoqs S. J. dans son petit livre Autour de la crise du Transformisme, 2e éd. 1944, p. 84, répond très justement : « Cette explication nous semble en opposition manifeste avec les données les plus certaines de l’enseignement catholique. Aussi bien sup­pose-t-elle une conception évidemment erronée de la grâce. La création n’est nullement une grâce au sens théologique du mot, la grâce ne trouvant place que présupposée la nature... Dans une telle perspective, l’ordre surnaturel disparaît ».
[9] Cf. L’Épître aux Romains du Père M. J. LAGRANGE O. P., 3e éd. Commentaire du chap. V.
[10] Les difficultés du côté des sciences positives et de la pré­histoire sont exposées, dans l’article Polygénisme du Dict. de théolcath. Les auteurs de cet article, A. et J. Bouyssonie dis­tinguent bien, c. 2536, le domaine de la philosophie, « où le naturaliste, en tant que tel, est incompétent. » On aurait désiré que, dans cet article, la question fut traitée aux trois points de vue des sciences positives, de la philosophie et de la théologie, en particulier par rapport au dogme du péché originel.
Selon plusieurs théologiens, l’hypothèse d’après laquelle il y a eu sur terre des hommes, dont la race était éteinte avant l’existence d’Adam, ne serait pas contraire à la foi. Mais selon l’Écriture le genre humain qui est à la surface de la terre dérive d’Adam, Gen., III, 5... 20 ; Sap. X, 1 ; Rom., V, 12, 18, 19 ; ActAp. XVII, 26.
De plus au point de vue philosophique il a fallu une inter­vention libre de Dieu pour créer l’âme humaine, et même pour disposer le corps à la recevoir. Un engendrant de nature inférieure ne peut produire cette disposition supérieure à son espèce ; le plus sortirait du moins, contrairement au principe de causalité.
Enfin, comme il est dit dans l’article cité, col. 2535, « pour les mutationistes (d’aujourd’hui) l’espèce nouvelle prend nais­sance dans un germe unique. L’espèce est inaugurée par un individu exceptionnel ».
[11] Les soulignements sont de nous. On trouve des idées presque aussi fantaisistes dans un article du P. TEILHARD DE CHARDIN, Vie et planètes, paru dans les Études, de mai 1946, surtout p. 158-160, et 168. - Voir aussi Cahiers du Monde nouveau, août 1946 : Un grand Événement qui se dessine : la Planétisation humaine, du même auteur.
On a cité récemment un texte du même écrivain, extrait des Études 1921, t. II, p. 543, où il est parlé de « l’impossibilité où est notre esprit de concevoir, dans l’ordre des phénomènes, un début absolu ». - A quoi MM. Salet et Lafont ont justement répondu dans L’Évolution regressive, p. 47 : « La création n’est­elle pas un début absolu ? » Or la foi nous dit que Dieu crée quotidiennement des âmes de petits enfants, et qu’à l’origine il a créé l’âme spirituelle du premier homme. Du reste le miracle lui aussi est un commencement absolu qui ne répugne en rien à la raison.
Cf. sur ce point P. DESCOQS S. J., Autour de la crise du transformisme, 2e éd. 1944, p. 85.
Enfin comme le remarque le même P. DESCOQS, ibid., p. 2 et 7, ce n’est plus le moment pour les théologiens de tant parler de l’évolutionisme et du transformisme alors que les meilleurs savants écrivent comme P. Lemoine, professeur auMuseum : « L’évolu­tion est une sorte de dogme auquel ses prêtres ne croient plus, mais qu’ils maintiennent pour leur peuple. Cela il faut avoir le courage de le dire pour que les hommes de la génération future orientent leurs recherches d’une autre façon ». Cf. Conclusion du t. V de l’Encyclopédie Française (1937). Le Dr. H. Rouvière, prof. à la Faculté de médecine de Paris, membre de l’Académie de Médecine, écrit aussi dans Anatomie philosophiqueLa finalité dans l’Évolution, p. 37 : « Il s’est produit un véritable effondre­ment dans la doctrine transformiste... La plupart des biologistes se sont éloignés d’elle parce que les défenseurs du transformisme n’ont jamais apporté la moindre preuve à l’appui de leur théorie et que tout ce que l’on sait de l’évolution plaide contre elle ».
[12] On nous dit au même endroit : « Dans les perspectives scolastiques la notion de chose-signe s’est perdue. Dans un univers aux perspectives augustiniennes, où une chose matérielle est non seulement elle-même, mais davantage un signe des réalités spiri­tuelles, on peut concevoir qu’une chose, étant de par la volonté de Dieu le signe d’autre chose que ce qu’elle était par nature, soit devenue elle-même autre sans que dans son apparence elle ait changé. »
Dans les perspectives scolastiques la notion de chose-signe ne s’est pas perdue du tout. Saint Thomas dit, Ia, q. I, a. 10 : « Auctor S. Scripturae est Deus, in cujus potestate est, ut non solum voces ad significandum accommodet (quodetiam homo facere potestsed etiam res ipsas ». Ainsi Isaac qui s’aprête à être immolé est la figure du Christ, et la manne est une figure de l’Eucharistie. Saint Thomas le note en parlant de ce sacre­ment. Mais par la consécration eucharistique le pain ne devient pas seulement le signe du Corps de Christ, et le vin le signe de son sang, comme l’ont pensé les sacramentaires protestants, cf. D. T. C. art. Sacramentaire (controverse) ; mais comme il est formellement défini au Concile de Trente, la substance de pain est convertie en celle du Corps du Christ qui est rendu présent per modum substantiae sous les espèces du pain. Et ce n’est pas seulement là la manière dont les théologiens de l’époque du Concile concevaient la consécration. C’est la vérité immuable définie par l’Église.
[13] Saint Thomas avait nettement distingué trois présences de Dieu : 1° la présence générale de Dieu en toutes les créatures, qu’il conserve dans l’existence (Ia, q. VIII, a. 1) ; 2° la présence spéciale de Dieu dans les justes par la grâce, il est en eux comme dans un temple à titre d’objet quasi-expérimentalement connaissable, Ia, q. XLIII, a. 3 ; 3° la présence du Verbe en l’humanité de Jésus par l’union hypostatique. Et alors il est certain qu’après l’incarnation Dieu était plus présent en la terre de Judée qu’ail­leurs. Mais quand on pense que saint Thomas n’a même pas su poser ces problèmes, on se lance dans toutes les aventures, et on revient au modernisme avec la désinvolture que l’on constate en chacune de ces pages.
[14] Des auteurs comme Téder et Papus, dans leur exposé de la doctrine martiniste, enseignent un panthéisme mystique et un néo-gnosticisme selon lequel tous les êtres sortent de Dieu par émanation (il y a ainsi une chute, un mal cosmique, un péché originel sui generis), et tous aspirent à se réintégrer dans la divinité, et tous y parviendront. Il est question en plusieurs ouvrages occultistes récents du Christ moderne, de sa plénitude de lumière astrale, dans un sens qui n’est plus du tout celui de l’Église et qui en est même la contrefaçon blasphématoire, car c’est toujours la négation panthéistique du vrai surnaturel, et souvent même la négation de la distinction du bien moral et du mal moral, pour ne laisser subsister que celle du bien délectable ou utile et du mal cosmique ou physique, qui, avec la réintégration de tous sans exception, disparaîtra.
[15] Certes nous admettons que la véritable expérience mystique, qui procède dans le juste des dons du Saint-Esprit, surtout du don de sagesse, confirme la foi, car elle nous montre que les mystères révélés correspondent à nos aspirations les plus pro­fondes et en suscitent de plus élevées. Il y a là, nous le recon­naissons, une vérité de vie, une conformité de l’esprit avec la vie de l’homme de bonne volonté, et une paix qui est un signe de vérité. Mais cette expérience mystique suppose la foi infuse et l’acte de foi suppose lui-même l’évidente crédibilité des mystères révélés.
De même, comme le dit le Concile du Vatican, nous pouvons avoir, par la lumière naturelle de la raison, la certitude de l’existence de Dieu auteur de la nature. Seulement, pour cela, il faut que les principes de ces preuves, en particulier celui de causalité, soient vrais per conformitatem ad ens extramentale, et qu’ils soient certains d’une certitude objectivement suffisante (antérieure à l’option libre de l’homme de bonne volonté) et non pas seulement d’une certitude subjectivement suffisante comme celle de la preuve kantienne de l’existence de Dieu.
Enfin la vérité pratique de la prudence per conformitatem ad intentionem rectam, suppose que notre intention est vraiment droite par rapport à la fin ultime de l’homme, et le jugement sur la fin de l’homme doit être vrai secundummentis conformitatem ad realitatem extramentalemCf. Ia IIae, q. XIX, a. 3, ad 2um.


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